14 Oct 2011

Memorandum N°4 pour V Magazine

La nouvelle chronique de Gaga pour V Magazine, intitulée ‘Remodeling the Model’ est d’ores et déjà disponible ici !
 
Retrouvez ci-dessous la traduction complète de cette chronique !

 

Mon étude de la manipulation des genres, bien qu’elle ne soit pas une nouveauté dans les domaines de l’art et de la mode, a été à la fois révélatrice et terrifiante – peut être ma performance la plus stimulante émotionnellement parlant à ce jour. Invention de mon esprit au départ, Jo Calderone a été créé par Nick Knight comme une expérimentation malicieuse. Après avoir travaillé ensemble sans relâche et avec passion durant des années, mangeant des cœurs de bovins, vomissant sur nous-mêmes, donnant naissance à un peuple alien et un AK-47, Nick et moi avons commencé à nous demander : jusqu’à quel point exactement pouvions-nous aller impunément ? Etant donné la nature de ce numéro de V Magazine, l’exploration du « modèle », j’ai pensé qu’il serait approprié d’étudier, sous forme de journal, comment mon travail a, ses derniers mois, été une attaque délibérée contre « l’idée » de « modèle moderne, » ou, dans mon cas, de « chanteuse pop moderne. » Comment pouvons-nous remodeler le modèle ? Dans une culture qui essaie de quantifier la beauté avec un paradigme visuel et presqu’avec un standard mathématique, comment pouvons-nous emmerder les esprits malléables des spectateurs et changer la perspective mondiale de ce qui est beau ? Je me suis posée cette question. Ma réponse? En se travestissant.
 
Nick et moi avons photographié Jo, omettant son sexe biologique, et repérant des photographes de magazines de mode pour hommes. La couverture de Vogue Hommes Japan, une importante publication masculine japonaise, était un coup* (*NdT : en français dans le texte), c’est le moins qu’on puisse dire, très excitant car nous avions convaincu les éditeurs que Jo Calderone était un modèle et avions vendu son look comme la toute dernière tendance. Nick Knight, photographe avec une intuition frôlant le divin, s’est immédiatement demandé s’ils seraient capables de ressentir mon esprit dans la photo. Il s’est demandé, sachant bel et bien que ses photographies sont merveilleuses et parfaitement masculines, s’il n’y avait pas une manière de masquer mon intensité de performeuse. Quelle aventure intéressante c’était, car, en réalité, les modèles vraiment talentueux ont une habilité de caméléon à se transformer en nouvelles créatures tout le temps. Alors pourquoi serais-je différente ? Notre expérimentation était-elle déviante ? Ou est-ce que ça ne regarde personne que Jo ait ou non une bite dans son pantalon ? Ce n’est que quelques semaines plus tard, après que la couverture ait été imprimée, que Nick m’a dit, gentiment, « Gaga, je crois que Jo doit chanter. »
 
Je me suis débattue avec cette idée. Serait-ce convaincant? Quel serait le but de la performance? Et si je devais le faire, en quoi la signification serait-elle en rapport avec mon travail en tant que Lady Gaga ? Oui, c’est moi, mais dans le fantasme de la performance que j’ai imaginé (ou espéré), le monde mettrait en opposition ces deux individualités comme si elles étaient des personnes réelles, pas comme une personne qui en joue deux. Lady Gaga contre Jo Calderone, pas Lady Gaga « dans le rôle de. » Ce serait l’objectif de ce processus : co-exister avec une version alternative de moi-même – dans le même univers. Alors j’ai raisonné, comment remodeler mon image actuelle pourrait initier une déclaration ou une révélation sur moi en tant qu’artiste ? Quel est le nouveau modèle du performeur et comment puis-je repousser les limites ? La réponse fut que Jo ne ferait pas seulement une déclaration sur moi en tant que performeuse, mais qu’il révèlerait des choses sur moi en tant que femme. J’ai alors décidé qu’il n’y avait qu’une manière de réaliser cette performance : Jo et Gaga devait se disputer.
 
Alors que je commençais à compter avec Jo, j’ai trouvé important de creuser ce qu’il n’aimait pas sur moi, ou plutôt, ce avec quoi je me bats à apprécier de moi-même. En outre, j’ai ressenti qu’il était nécessaire d’imaginer ce que le public attend de moi lors d’une performance de cette importance – l’ouverture des VMAs – et comment je pourrais détruire cette attente de différentes manières. Sur une scène, les lois du fantasme sont faites pour être brisées, mais j’ai toujours trouvé difficile d’y amener mon véritable vagin. (Ou est-ce que je l’amène avec moi mais que je ne le sais pas ?) J’ai toujours craint que la réalité de l’amour, si elle est amenée sous les projecteurs, ait le potentiel de détruire la créativité. Inutile de dire que la ligne entre le fantasme et la réalité est troublée dans ma vie, comme ce babillage psychologique peut l’indiquer, alors j’ai utilisé mes expériences personnelles pour entamer un parallèle plus profond. Est-ce que mes amants se sentent comme une extension de mon public ? Etant donné que je refuse de faire une distinction entre ce qui est réel et ce qui est artificiel, ont-ils l’impression de faire partie du show ? Comment Jo pourrait-il devenir quelqu’un de plus aimable et à qui on peut plus s’identifier que moi ?
 
Durant ma performance et les trois jours que j’ai passés avec lui, j’ai ressenti à travers lui l’autorisation de confesser des choses sur moi-même en tant que femme, des choses que j’aurai normalement gardées secrètes. D’une certaine manière, il semblait qu’il pouvait s’en sortir avec bien plus de choses que moi. Il a parlé de ses sentiments, porté du Brooks Brothers (NdT : Marque de vêtements américaine, créée en 1818), fumé des Malboro Lights, bu de la bière sur scène, et parlé de ce dont je refuse de parler publiquement : mes relations. C’est en me remodelant moi-même en quelque chose de totalement différent, et d’une certaine manière en dessinant l’anti-performance pop, que la complexité du « modèle » a commencé à se dévoiler. Pour quelqu’un de connue autant pour son image que pour sa musique – et c’est devenu mon modèle – la présence de Jo n’a en rien éradiqué mon esprit de la scène. J’étais toujours omniprésente et, en fait, plus moi-même que jamais. Jo a un esprit libre. Jo n’a pas de passé ni de futur auquel répondre. Jo a existé seulement dans ce moment, car j’en avais décidé ainsi.
 
En remodelant « l’artiste modèle, » le « citoyen modèle, » ou le « super modèle, » nous pouvons libérer le présent. La transformation détache le modèle de tout paradigme universel et lui permet de réinventer sa perspective dans un moment pur et détaché. Dans les différents archétypes de notre psychologie, quelle part de nous-mêmes peut s’attaquer à un obstacle avec plus d’honnêteté ou de force ? Est-ce que se transformer est une farce ? Ou est-ce une injustice pour « le modèle » de le ou la traiter comme un prototype ? Comment allez-vous vous remodeler et découvrir quel modèle est le mieux pour aujourd’hui ? Utilisez chaque once de votre potentiel, soulever une révolution contre ce que les gens attendent de vous, et dites au monde que ce n’est pas une répétition. C’est le vrai moi. Et écoutez bien, car cela pourrait être l’incarnation la plus honnête jusqu’à présent.

 

Traduction par Christelle

Traduction soumise aux droits d’auteur. Toute reproduction totale ou partielle est formellement interdite sans autorisation préalable.

37 commentaires on “Memorandum N°4 pour V Magazine”

  1. pressé, et merci d’avance christelle!
    mais est ce que vous pouvez m’aider, dans une précédente chronique, elle avait rapidement parlée d’une robe d’un model très connu (avec des carrés bleus, jaunes, rouges, blancs) faite par un grand couturier il y a déjà plusieur dizaines d’années.
    merci

      1. C’est clair !

        Je n’ai pas encore regarder tous les desseins de son blog, mais le coup crayon est absolument fantastique ! oO . Franchement Greg tu gère un truc de malade.

        Et en plus j’ai vraiment bien aimé le dessin d’Orelsan, vu que c’est un peu le seul rappeur que j’aime, car un des rares à avoir des textes à la fois drôles et hardcores, mais toujours remplis de vérités, et parlant d’autre choses que de zermi / cité / fuck la police / « bizness », etc… dont je me branle totalement.

          1. Mais de rien :-)

            Et j’imagine même pas comment tu devais être aux anges quant tu as vu que c’était TON dessin que Gaga avait choisie ^^

  2. J’adore ce qu’elle écrit, c’est très intelligent, et c’est la verité ! lol
    Félicitation Greg pour ton dessin qui a été choisi ! Je l’adore, il est très bien fait.
    Et merci à Christelle pour la traduction !
    Et un grand MERCI à l’équipe de GagaVision de nous apporter tous les jours de nouvelles infos ! ^^

  3. Je lis chacune de ses chroniques avec plaisir et passion.
    Cette femme est tellement complexe, tellement intéressante. Ce doit être quelque chose de parler d’art avec elle. Je rêve de la rencontrer un jour et de discuter avec elle pendant des heures de ses influences, de sa créativité, et de rencontrer la Haus. Ce doit être tout simplement fascinant.

    Cet article est, selon moi, le plus intéressant de tous ceux qu’elle a écrit jusqu’à présent. C’est captivant de voir comment est né Jo, et surtout pourquoi. Elle aurait pu se contenter de le créer simplement pour surprendre le public et faire parler d’elle, mais elle est allée encore plus loin que ça, et je trouve cela tout à fait inspiré. Elle est allée jusqu’à se questionner sur la psychologie de Jo, tout en se remettant elle-même en questions.

    Je n’ai jamais pris au sérieux les gens qui la prennent encore pour une simple chanteuse pop sans personnalité, qui se contente de faire du trash pour faire du trash. J’aimerais qu’ils lisent cet article et comprennent que son travail a vraiment un sens.

    C’est une des choses les plus intéressantes chez elle. Chaque performance, chaque vidéo, chaque chanson, chaque tenue a un sens particulier. Il faut réfléchir longuement pour trouver le message qu’elle veut faire passer, les petites subtilités qu’elle a voulu placer ça et là.

    Cette femme est brillante.

    1. Complètement d’accord avec toi.

      Elle est brillante, intelligente et très réfléchie. Je suis persuadée que l’écouter parler de sa conception de l’art pendant des heures ne suffiraient pas. Des jours entiers peut-être tant cela doit être une expérience captivante, passionnante. Il semble qu’elle ait un certain magnétisme.

      Ceux qui la considèrent comme une simple chanteuse pop sont irrévérencieux et ignorants. Et beaucoup de sceptiques et de dubitatifs diront qu’elle tente de réinventer un concept réchauffé. Pourtant, durant ces dernières années, combien de chanteuses dites « pop » ont été capables d’écrire de tels articles? Combien ont eu la volonté d’offrir une once d’intelligence à travers leurs créations?

      « La transformation détache le modèle de tout paradigme universel et lui permet de réinventer sa perspective dans un moment pur et détaché […]

    2. Utilisez chaque once de votre potentiel, soulever une révolution contre ce que les gens attendent de vous, et dites au monde que ce n’est pas une répétition. »

      Elle force le respect et l’admiration, n’en déplaise à certains.

  4. Vraiment intéressant de voir comment elle a créer Jo. Ce n’est pas seulement un personnage inventé pour faire le buzz, il a une signification . Elle m’étonneras toujours.

  5. waouw mais c’est un truc de dingue ce qu’elle dit fait reflechir n’empêche et en plus on apprend des trucs sur elle. BRAVO Greg pour ton magnifique dessin :)

  6. @BadMonster +1000
    C’est vraiment intéressant de voir l’évolution du personnage de Joe Calderone.
    Elle aurait pu décider de se travestir l’espace d’un instant pour la couverture d’un magazine.
    Mais elle a choisi de pousser à l’extrême ce personnage de Joe Calderone, d’en explorer les tréfonds de l’âme humaine, en espérant conjurer les standards du beau (l’idée de départ).
    La meilleure façon pour elle de « remodeler le modèle », c’était de faire coexister les deux personnages tout en les opposant.
    Ce qui et passionnant, c’est ce dualisme permanent à mi chemin entre le fantasme et la réalité, le bien et le mal, la réalité de l’amour et la créativité.
    Joe Calderone révèle ce qu’elle n’aurait jamais exprimé, il confesse ce qu’elle tait, il dévoile ce qu’elle refuse de déclarer.
    Il peut dire ce qu’il pense sans crainte, mais il ne doit pas oublier qu’il existe que par la volonté de Gaga, et qu’elle peut décider du jour au lendemain, du meurtre de son double.
    Elle nous livre à travers ce double, une réflexion sur soi, une libération, une psychanalyse du modèle, avec détachement, force et sincérité.

  7. Pour ceux que le sujet de Jo intéressent, qui veulent aller plus loin dans la réflexion et qui lisent l’anglais aussi, le site Gaga stigmata contient plusieurs très bon articles de fond sur ce sujet.

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