Lady Gaga : l’interview
 
Pour la provocante star de la pop, le monde entier est une scène. Pourquoi ? Parce qu’elle est née comme ça. Jetez un coup d’oeil à l’interview de Gaga par Derek Blasberg, puis découvrez des photos exclusives du shooting de la couverture de l’édition de Mai, ainsi que des photos emblématiques du style féroce de Lady Gaga.
 
Excitation n’est pas le mot. Je suis assis dans le salon d’un petit studio d’enregistrement à New York, j’attends que Lady Gaga arrive et me fasse entendre durant une heure son album Born This Way, qui est sur le point de sortir. Nous sommes à l’heure de Gaga.
 
Puis,en un instant, elle apparait. L’ancienne Stefani Joanne Angelina Germanotta, âgée de 25 ans, est petite en taille mais gargantuesque en charisme. Elle est très légèrement vêtue par des collants, des sous-vêtements noirs, et un soutien-gorge noir sous une veste militaire cloutée, tailladée et en lambeaux. Ses accessoires sont des mitaines, des bottes ailées et un sac Birkin de Hermès, couvert de pointes. Et oui, les cornes qu’elle a portées pour la première fois aux Grammy – et que vous voyez dans ces photos – sont bien visibles, saillantes sur ses pommettes et son front.
 
« Gaga ! » annonce-t-elle, tendant sa main aux griffes noires d’une manière très distinguée. « C’est un très grand plaisir de vous rencontrer ». Elle se dirige vers un studio, se retourne et m’y emmène.
 
Une fois bien installés dans ce donjon de sons, notre premier sujet de conversation est le single « Born This Way » qui, lorsqu’il est sorti en février, a établi un nouveau record de vitesse sur iTunes et s’est retrouvé numéro 1 en moins de 3 heures ; il a aussi été le 1000ème numéro 1 de Billboard. « Il a battu tous les records ! » se réjouit Gaga, en se trémoussant, et ajoutant que ce qu’elle a trouvé le plus remarquable, c’est que la chanson a attiré de nouveaux fans. « J’étais heureuse avec les fans que j’avais déjà. Mais ça a ouvert une nouvelle base de fans : des gens qui ont aimé la simplicité et la joie de la chanson. »
 
Comme peuvent l’attester les millions de gens qui ont vu la vidéo de « Born This Way », Gaga consacre autant d’énergie artistique à ses visuels qu’à sa musique. Mais aujourd’hui, elle en train de monter la séquence d’ouverture réalisée par Nick Knight, celle où nous rencontrons sa nouvelle création : Maman Monstre. Elle m’offre un aperçu, mais me prévient : « Vous n’êtes pas prêt ! », se référant surement à ce côté incroyable. « Nick Knight ? C’est un tel enfoiré ! » proclame-t-elle, ce qui signifie qu’il est un génie. Son inspiration pour cette vidéo surréaliste et extraordinaire ? « Beaucoup d’herbe. »
 
Gaga est plus qu’heureuse, comme elle le dit, « vivant chaque jour quelque part entre la réalité et le fantasme. » Le seul moment tendu de notre conversation a lieu lorsque j’essaie de passer du fantasme à la réalité, en la questionnant sur son nouveau look : une série d’os pointus dépassant de ses épaules, ses pommettes et ses tempes. Combien de temps faut-il pour appliquer le maquillage et les prothèses sur son visage et ses bras ?
 
« Bien, tout d’abord, » dit-elle, « ce ne sont pas des prothèses. Ce sont mes os. »
 
Ok, donc quand sont-ils apparus ?
 
« Ils ont toujours été à l’intérieur de moi, mais j’ai attendu le bon moment pour révéler au monde entier qui je suis vraiment. »
 
Est-ce qu’elle a voulu les faire sortir pour cet album ?
 
« Ils sortent quand je suis inspirée. »
 
A-t-elle peur que ce nouveau look inspire d’autres gens à faire « ressortir » des os similaires ?
 
« Nous avons tous ces os ! » dit-elle laconiquement. « Ils sont la lumière qui est en nous. Vous voulez parler de modifications corporelles ? »
 
Oui.
 
« Non je ne suis pas inquiète pour ça. »
 
La raison pour laquelle je la pousse à ce sujet, c’est que par le passé Gaga a parlé ouvertement de sa consommation de drogue, tout en clarifiant rapidement dans le même temps qu’elle n’encourageait pas ça. On ne peut s’empêcher de se demander si elle a pensé que certains de ces Petits Monstres, comme elle appelle ses fans, pourraient se blesser en essayant d’imiter sa transformation.
 
« Je ne me suis pas mutilée » dit-elle. Puis, en fronçant ses yeux assombris, « Je veux que vous soyez très prudent sur la manière dont vous voyez ça. »
 
Aidez-moi à le voir correctement alors.
 
« C’est une expression artistique » dit Gaga. « C’est une performance. Je n’ai jamais encouragé mes fans ou qui que ce soit à se blesser, et je n’idéalise pas non plus le masochisme. Les modifications corporelles font partie de l’analyse globale de « Born This Way ». Dans la vidéo, nous avons fait appel à Rico, qui est tatoué de la tête aux pieds [ceci inclus un crâne sur son visage]. Il est né comme ça. Bien qu’il ne soit pas né avec des tatouages, c’était son destin final de devenir l’homme qu’il est aujourd’hui. »
 
Était-ce le destin de Gaga ?
 
« Je n’ai jamais eu recours à la chirurgie esthétique, et il y a plein de chanteuses pop qui y ont recours. Je pense que promouvoir l’insécurité en ayant recours à la chirurgie esthétique est infiniment plus nocif qu’une expression artistique liée aux modifications corporelles. »
 
Touché.
 
« Et combien de mannequins ou d’actrices voyez-vous sur les couvertures des magazines avec un visage tout neuf, alors que moi je n’ai jamais eu recours à la chirurgie plastique ? Je suis une artiste, et j’ai la possibilité et le libre-arbitre de choisir la manière dont les gens me voient. »
 
Mais reconnait-elle que certaines personnes vont mal interpréter une femme qui met des cornes sur son visage ?
 
« Croyez-moi, je sais tout ça. Je pense que beaucoup de gens aiment compliquer ce que font les autres dans le but de retirer le pouvoir aux femmes. Mais mes fans me connaissent. Ils ne se blesseraient jamais eux-même. Et s’ils le faisaient, ils viendraient me voir et me diraient « Gaga, je veux arrêter, et ta musique m’aide à vouloir arrêter. Ta musique me donne envie de m’aimer moi-même. » Je ne fais aucunement la promotion du sadomasochisme ou du masochisme. »
 
Ceci étant réglé, la conversation reprend en territoire plus sûr : la mode avant-gardiste. Dans ses premières vidéos, avant qu’elle ne devienne la chouchoute de l’industrie de la mode et ne se présente à une émission télévisée matinale vêtue d’un ensemble en latex inspiré du préservatif (pour sensibiliser au sexe sans risque, évidemment), Gaga a repoussé les limites. Il y a trois ans, avant d’être une icone de la pop, elle était connue comme la chanteuse qui refuse de porter des pantalons.
Sa relation avec le styliste Nicola Formichetti est l’une des grandes histoires d’amour « modesques » ; elle a même clôturé son premier défilé de prêt à porter féminin en tant que directeur artistique de la maison Mugler en mars, vêtue comme une mariée clubbeuse. Elle admire aussi énormément Hussein Chalayan, qui a réalisé son « vaisseau » pour les Grammys et qu’elle décrit comme « un esprit incroyable et un homme génial. Il est un meneur dans le monde de l’avant-garde. »
 
Son autre héros de la mode est feu le grand Alexander McQueen. Lorsqu’on aborde le sujet McQueen, Gaga se penche en arrière et une sensation d’émerveillement rayonne sur son visage. Elle pense qu’après son suicide, McQueen s’est mis à travailler à travers elle. « Je pense qu’il a tout planifié : juste après sa mort, j’ai écrit ‘Born This Way’. Je pense qu’il est là haut, au paradis, et qu’il tire les ficelles, qu’il est responsable de tout ça. » Soutenir la revendication de Gaga a été la décision de son label – et pas d’elle seule – qui a avancé la date de sortie de « Born This Way » à la date exacte du premier anniversaire de la mort de McQueen. « Lorsque j’ai entendu ça, j’ai su qu’il avait planifié tout ça. Je n’ai même pas écrit cette putain de chanson, c’est lui qui l’a fait ! »
 
Si McQueen, depuis sa tombe, a aidé Gaga avec ce disque, il a eu du pain sur la planche. Après avoir déverrouillé son iPod (avec quelques difficultés dues à ses ongles acérés) elle fait retentir tout l’album. Il est épique. Gaga veut que l’auditeur soit intoxiqué par chaque chanson, mais de différentes manières. « ‘Born This Way’ est ce que la marijuana est à l’héroïne dans l’album. L’expérience devient considérablement plus intense au fur et à mesure que vous l’écoutez. Les différentes chansons sont différentes sortes de défonces. »
 
La chanson « Marry The Night » que Gaga a écrite alors qu’elle était la superstar qu’elle a toujours voulue être, est particulièrement mémorable. Elle dit qu’après être devenue reconnue partout – après avoir gagné des Grammys, après avoir lutté avec Madonna au Saturday Night Live, après un nombre incalculable de couvertures de magazines – elle s’est sentie contrainte de partir vers la Mecque de la pop-culture qu’est Los Angeles. « J’avais toutes ces chansons n°1, et j’avais vendu tous ces albums, j’étais à un tournant : Vais-je essayer d’enlacer Hollywood et assimiler cette culture ? » Inutile de dire que ça n’a pas marché. « J’ai mis un orteil dans cette eau, et j’ai eu cette réaction vaginale à l’exercice de Kegel* : je me suis crispée et rétractée immédiatement, » dit-elle dans une métaphore saisissante. « Je suis retournée précipitamment à New York, dans mon vieil appartement, et je suis sortie avec mes amis trainer dans les mêmes bars qu’avant. »
 
Sur la liste des passions de Gaga, il y a la musique, puis la célébrité et, loin derrière, le confort matériel et l’argent. Lorsqu’elle est rentrée à New York, elle est retournée dans son studio, dont elle dit qu’il est de la même taille que le studio d’enregistrement où nous nous trouvons, et elle y vit toujours. Lorsqu’on lui demande dans quoi elle dépense son argent (plus de 62 millions de dollars selon Forbes), elle dit qu’elle le dépense pour ses shows et ses amis. Pour la nuit des Grammys, elle a fait venir 20 personnes en avion de LA et si quelqu’un a besoin de matériel lors de sa tournée, cela vient de sa tirelire. « Je dépense mon argent dans mes accessoires et mes créations. Je suis une inventrice. »
 
La liberté financière a été un remontant à tout épuisement émotionnel. « Le vrai luxe de mon succès est que je peux tout faire selon mes propres conditions maintenant, même s’il y a toujours des montagnes russes. » Mais maintenant elle possède les montagnes russes. « En fait, je possède tout le parc d’attraction. »
 
Ce que Gaga a réalisé, et qu’elle prône dans Born This Way, est qu’il y a plus important dans la vie que les paparazzi (bien qu’elle ait écrite une chanson dédiée au glamour d’être harcelée par les photographes) et l’argent. Est-il difficile de renoncer à une vie glamour ?
« Ca ne l’est pas si ça ne signifie rien pour vous, » dit-elle. « Ce qui a de l’importance pour moi, c’est ma musique. Je ne veux pas faire d’argent ; je veux créer une différence. »
 
Elle dit qu’elle ne lit pas les journaux à scandales mais trouve marrant qu’ils aient un intérêt particulier pour sa vie privée. (Elle est heureuse de répondre aux dernières rumeurs : « Je ne suis pas fiancée, je ne suis pas accro à la drogue, mais merci d’avoir demandé. »)
 
Mais en attirant l’attention des gens, Gaga a été universellement sensationnelle. Dans l’une de ses premières interviews, elle regardait la caméra et utilisait le mot ‘gaga’ comme adjectif. « J’ai toujours voulu être un adjectif », dit-elle dans un sourire. Mais elle ajoute : « A l’époque, j’étais pleine d’illusions. Je vais faire un t-shirt qui dit : JE NE SUIS PAS PROPHETE, JE ME FAIS DES ILLUSIONS. »
 
Et si ça n’avait pas marché ? Si elle était toujours la Stefani qui essaie de percer ? Gaga dit qu’elle serait aussi heureuse qu’elle l’est maintenant. « J’habiterais toujours à côté de chez mon amie Jennifer, je jouerais dans les clubs où j’ai toujours joué. Je n’aurais pas pu dire que ça n’a pas marché pour moi car je vivrais mon rêve en jouant ma musique. »
 
Born This Way aura une tournée et après cette tournée viendra un nouvel album, « et une nouvelle performance aux Grammys, et le cycle continue, » dit Gaga. Est-elle inquiète d’atteindre le point de saturation dans les media ? Non. « Vous pouvez me citer : Les gens vous aiment lorsqu’ils pensent que vous ne serez pas là pour longtemps, et les gens vous détestent lorsqu’ils ne peuvent pas se débarrasser de vous. Mais je ne vais nulle part. »

© Traduction par Gagavision.net