11 Oct 2018

Lady Gaga pour le New York Times Magazine


En pleine semaine de sortie du film, la promotion continue ! Cette fois-ci, c’est dans le magazine New York Times que nous retrouvons notre actrice en herbe, à travers un nouveau photoshoot (+ une couverture) et une interview. Retrouvez tout cela ci-dessous !


Photoshoot par Marilyn Minter :


Vidéo du photoshoot : « Deux artistes explorent l’idée de transformation »


Interview // ATTENTION : CONTIENT DES SPOILERS ! //
Cliquez ici pour lire l’article en anglais.

Lire l'interview en français

LADY GAGA VEUT PORTER TOUS LES COSTUMES, VIVRE TOUTES LES SORTES DE CÉLÉBRITÉS CONNUES. ‘‘A STAR IS BORN’’ N’EST QUE SA DERNIÈRE RÉINVENTION.

En août, Lady Gaga est arrivée au Venice Film Festival en flottant, une Aphrodite blond platine née des vagues, talons aiguilles noirs rasant l’écume. Ce qui signifie qu’elle a pris un bateau-taxi.

L’image d’elle traversant le canal – posée précairement sur le côté de l’embarcation laquée dans une petite robe noire, les jambes élégamment croisées, les cheveux coiffés en trois rouleaux victorieux comme une couronne de croissants, tenant une rose d’une main et envoyant des baisers de l’autre – est immédiatement devenue un mème. Bien sûr, elle ne pouvait pas juste marcher à la première de « A Star Is Born », le premier long métrage dans lequel elle a le rôle principal, jouant la star titulaire. Marcher, c’est pour les ploucs. Naviguer, par contre, c’est intemporel. C’est une activité pour les sirènes, autant leurs interprétations mythologiques que cinématographiques. C’est aussi joyeux, résolument cabotin : camp de base en haute mer, le pastiche joueur de toutes les célébrités venues auparavant. En quelques heures, plusieurs limiers d’Internet ont commencé à poster des photos de Gaga sur le bateau à côté de photos de stars hollywoodiennes classiques, en incluant Marilyn Monroe dans un maillot de bain noir une-pièce. Le lendemain, Gaga et Bradley Cooper, son réalisateur et co-star, sont arrivés main dans la main à une projection ; elle portait une robe blanche drapée, le genre qu’on porte au-dessus d’une grille de métro. Le clin d’œil était complet.

Nous aurions pu le voir venir. Lady Gaga est notre lauréate pop des grandes entrées, notre sainte patronne des arrivées lyriques. En une décennie de célébrité, elle ne s’est jamais contentée d’entrer dans une pièce ; elle doit y tomber, se laisser glisser le long d’un câble comme une araignée incrustée de diamants. Ou elle y boitille, robot humanoïde sur béquilles, en Tiny Tim (référence à un personnage de C. Dickens dans le conte ‘Un Chant de Noël’) haute-couture. Avant de se produire aux Grammys de 2011, elle a prétendu avoir dormi durant 72 heures dans un œuf géant translucide, pour – au moment d’en émerger – ressentir l’expérimentation d’une « incubation créative et embryonnaire. » Pour la première décennie de sa carrière, elle a souvent descendu chaque escalier en étant à moitié nue. Dans ses jeunes années, plus attendrie, elle a trotté aux MTV Video Music Awards dans une désormais tristement célèbre robe, avec bottes assorties, faite de bœuf cru, gag visuel et happening olfactif complet, abattoir fabuleux. Gaga s’est un jour elle-même décrite comme « un spectacle sans entracte, » mais il est peut-être plus exact de voir sa carrière comme une glorieuse série d’ouvertures ; son rideau est constamment en train de se lever. C’est pour cela que sa chevauchée aquatique à Venise a suscité un tel délice collectif sous forme de vigoureux retweets. Elle est peut-être désormais une actrice sérieuse, mais elle n’a pas perdu son sens du jeu.

Lorsque j’ai rencontré Lady Gaga lors d’une après-midi brumeuse quelques jours après sa venue à Venise, dans sa maison tellement haute sur Hollywood Hills que j’ai percé la ligne de brouillard avant de l’atteindre, elle était toujours en mode Marilyn. Ses cheveux blond canard étaient moulés en halo autour de son visage. Ses lèvres étaient rouge mat, légèrement découvertes, une valentine enthousiaste. Elle portait les mêmes chaussures imposantes en cuir verni que sur le bateau et une robe à imprimé tigre, silhouette milieu de siècle inspirée par les bombes sur pellicule aux mollets galbés. Ses boucles d’oreille, des chandeliers en obsidienne lourds comme des bouchons de radiateur, jettent des ombres prismatiques sur ses clavicules et semblent menacer l’intégrité globale de sa posture majestueuse.

Ayant vu « A Star Is Born » la veille, dans lequel Gaga donne une performance particulièrement dépouillée et crue, j’étais légèrement secouée en la regardant traverser sa maison (qui appartenait au rocker avant-gardiste Frank Zappa avant qu’elle ne l’achète en 2016) complètement maquillée et en talons aiguilles. Dans le film, son personnage, Ally, débute sans maquillage, une serveuse frustrée aux cheveux couleur tâche de boue (la couleur naturelle de Gaga) qui a depuis longtemps abandonné ses rêves de compositrice et s’est installée dans un bar drag – où elle est la seule femme – pour y chanter des reprises un soir par semaine. Un soir, Bradley Cooper, dans le rôle de la rock star alcoolique et titubante Jackson Maine, entre par hasard dans le bar à la recherche d’un dernier verre et découvre à la place une muse – il est ensorcelé par son interprétation de « La Vie en Rose » en costume complet d’Edith Piaf, avec les sourcils fins créés avec du ruban adhésif.

Plus tard cette nuit-là, Jackson demande à Ally pourquoi elle ne suit pas une carrière musicale. Elle lui dit qu’elle a essayé, vraiment essayé. Elle n’a juste pas réussi à trouver quelqu’un dans l’industrie qui aille au-delà de son visage. Ils aiment sa voix, mais détestent son physique. En entendant cela, Jackson trace d’un seul doigt les contours de son nez. Bien que cela soit déjà un geste érotique, c’est la réaction d’Ally qui fait la scène : elle expire lorsqu’il souligne doucement l’organe qui la gêne le plus. C’est un moment saisissant, dans lequel elle semble à la fois réceptive et complètement en confiance.

Mais alors que nous faisions le tour de sa maison, Gaga était aussi opaque qu’Ally est transparente. Elle parlait prudemment, d’une voix chuchotante, comme si elle était en séance avec une vieille star de cinéma dont l’agent a conseillé qu’elle reste énigmatique et réservée. Elle m’a montré une salle de bain étrange, où elle a trouvé un lit au-dessus de la douche ; elle a fait un geste vers son jardin en annonçant : « De magnifiques citronniers. C’est un bel endroit pour créer. » Lorsque nous sommes entrés dans le studio, elle marchait sur la pointe des pieds pour traverser la pièce caverneuse, en mettant l’accent sur le piano à queue d’une voix si faible que je pouvais à peine l’entendre. Nous sommes arrivées dans une petite alcôve aux murs blanchis et au plafond de 6 mètres de haut, qui ressemblait à la salle de stockage d’un musée d’art – une chambre d’écho, m’a-t-elle expliqué. J’ai posé une question sur l’acoustique, en partie parce que cela semblait la chose polie à faire, mais aussi parce que j’essayais d’entamer la conversation. Qu’elle soit légitimement timide ou qu’elle joue simplement l’ingénue discrète, elle n’avait toujours pas parlé à voix haute.

Soudain, elle s’est mise à chanter. A capella, spontanément, voce forte, les bras complètement écartés, la tête rejetée en arrière pour découvrir sa gorge. Elle chantait le refrain de « Shallow », la chanson qu’elle a co-écrite pour « A Star Is Born » et qui est devenue de facto la chanson-thème du film. Elle a chanté au sommet cathartique de la bande-annonce (qui a été vue presque 10 millions de fois sur YouTube) – ce moment où Ally monte à contrecœur sur scène pour la première fois pour chanter avec Jackson. Gaga joue ce moment avec une retenue incroyable ; il est difficile de l’imaginer ne pas vouloir prendre d’assaut une scène, mais elle vend cela vraiment bien. Ally a été mal si longtemps qu’elle hésite, ne croyant pas complètement que c’est sa chance. Mais quelque chose se produit. Elle redresse ses épaules, s’empare du micro et envoie voler sa voix par-dessus la foule.

Dans la chambre d’écho, les paroles de la chanson ont ricoché, faisant trembler la pièce : « I’m off the deep end! Watch as I dive in! I’ll never meet the ground! » Lorsque Gaga chante, tout son corps vibre. Elle serre les poings, ferme les yeux.

Après qu’elle ait fini, Gaga semble béate, presque étourdie, ayant répondu à ma question banale avec une certitude indéniable. L’acoustique est vraiment très bonne ici.

Le titre de « A Star is Born » est trompeur et l’a toujours été. Il implique une génération spontanée, Athéna sortant toute faite du front de Zeus. En réalité, c’est l’histoire d’un dur travail, des machinations épuisantes derrière la célébrité. Dans chaque version du film, la célébrité peut détruire (en étant propice à l’addiction ou en aggravant des comportements autodestructeurs), mais elle peut aussi être un rite sacré ; elle oint celle qui le vaut vraiment de lauriers et d’huiles odorantes, peu importe son nez aquilin. Le récit prend une inconnue et lui fait rencontrer une légende qui s’éteint. Il tombe amoureux d’elle et de son potentiel artistique, et la pousse droit vers l’épreuve de la popularité. C’est une histoire d’amour aussi pérenne et inébranlable que « Roméo et Juliette, » un peu moins dévastatrice cependant, car seul l’homme est maudit, et la femme s’éloigne triomphante de sa tragédie, noble après ses souffrances, son nom sur des néons.

« A Star Is Born » n’a jamais vraiment été un film au sujet d’une actrice inconnue qui traverse l’écran comme une comète. Depuis le début, cela a toujours été un film sur une femme déjà super célèbre qui tourne un film. C’est pour cette raison que la franchise fonctionne : elle a une police d’assurance incorporée. En 1937, lorsque Janet Gaynor a joué le rôle de la fermière Esther Blodgett dans la première version (qui était elle-même la nouvelle version d’un drame de 1932 intitulé « What Price Hollywood ? »), elle faisait son retour, car elle avait été une géante du cinéma muet, la première femme à gagner un Oscar pour un rôle. Judy Garland, qui s’est attaquée au rôle d’Esther en 1954 (un cadre du studio changea rapidement son nom en Vicki Lester dans le film), était connue à 17 ans, pas en tant que travailleuse vaudevillesque mais comme une fille de studio impeccable, sous amphétamines, barbituriques et louanges. En 1976, Barbra Streisand, dont le personnage se nomme Esther Hoffman (nous devons croire que la mieskeitmocheté, en hébreu – devient cygne), avait déjà gagné un Oscar pour son rôle de Fanny Brice, et avait fraîchement reçu une autre nomination pour « Nos Plus Belles Années ». Ces actrices avaient au moins une décennie de carrière, et elles ont moins utilisé le film comme première que comme tour d’honneur. Bien sûr, les Esther se succéderaient ; leurs homologues de la vraie vie avaient déjà repoussé tous les obstacles.

C’est pour cette raison que le rôle est séduisant pour les divas qui veulent explorer les limites de leur célébrité et ce qu’elles doivent endurer pour la capturer. Ces actrices, travesties en versions plus jeunes d’elles-mêmes, doivent lutter contre leurs défauts et se débarrasser de leurs plus grandes peurs. Mais nous n’avons pas peur pour elle, pas vraiment, car nous savons comment l’histoire se termine. Garland, qui s’est toujours sentie tellement intimidée par l’armée de blondes tout en jambes de MGM qu’elle a passé sa vie à faire de l’autodérision, s’est elle-même façonnée en la brunette la plus aimée au monde. Streisand, dont la réplique « Hello, gorgeous » était imprégnée d’ironie, a transformé une arête de nez célèbre en objet de désir.

La ténacité new-yorkaise innée de Gaga amène une saveur différente au rôle, par rapport à ses prédécesseuses. Là où Janet Gaynor jouait une starlette pure et nourrie au grain, Garland jouait une troubadour courageuse portant un nœud papillon espiègle et Streisand jouait une prima donna blagueuse aux ponchos colorés (hé, c’était les années 70), la Ally de Gaga est plus désabusée et moins innocente. C’est le genre de femme qui provoque une bagarre, qui est alternativement insolente et inquiète pour son père (Andrew Dice Clay), un chauffeur qui a autrefois eu des aspirations pour le show-business mais n’a jamais eu sa chance. Lorsque Cooper a offert le rôle à Gaga, il lui a dit que ce serait « comme si tu avais 31 ans et que tu n’avais pas réussi, » et elle incarne parfaitement la soif féroce de l’aspirante à la célébrité. Elle n’est pas naïve lorsqu’elle monte sur scène pour chanter. Elle sait exactement quoi faire, et ce que cela signifie pour sa carrière. Elle est prête à y aller.

Le parcours d’Ally n’est pas celui d’une chanteuse qui développe son talent – il est déjà là. Il s’agit plutôt de trouver son chemin vers une esthétique, maintenant qu’elle a l’attention du monde entier. Elle se teint les cheveux en orange tangerine, commence à travailler avec un chorégraphe et chante des chansons pop bondissantes sur les fesses, tout ça sans hésiter, même lorsqu’un Jackson ivre la critique en disant qu’elle n’est pas authentique. Certains spectateurs pourraient voir dans les transformations d’Ally une classification rock versus pop – elle est plus « vraie » lorsqu’elle chante en harmonie les mélodies clinquantes de Jackson ou lorsqu’elle est au piano – mais la maîtrise de Gaga à l’écran sur les deux genres est une réfutation préventive de ce qui est essentiellement du sexisme. Ce que « A Star is Born » dit clairement au sujet de Lady Gaga, c’est qu’elle possède la dextérité de faire le genre de musique qu’elle veut.

Cooper m’a dit qu’il avait engagé Gaga après l’avoir vu chanter « La Vie en Rose » à un dîner de charité contre le cancer. Le lendemain, il est allé à sa maison de Malibu pour tester leur alchimie. Ils se sont liés immédiatement au sujet de leurs familles (toutes les deux de la côte est et italiennes) et ont mangé des spaghettis sur sa terrasse. « Elle était complètement illuminée par le soleil, » dit-il. « Tellement charismatique. Je me suis dit, ‘Oh mon dieu. Si elle est comme ça sur pellicule, si elle a autant de présence sur pellicule, alors le film marchera’. »

Il est difficile d’identifier exactement à quel moment la superstar Lady Gaga est née. Passé un certain degré de célébrité, l’origine des artistes pop commence à devenir mythologique. « J’ai un nerf en moi pour faire ça, » dit Gaga, assise sur une chaise pivotante dans son studio au sous-sol, lorsque je lui demande ce qui la pousse. Elle a les jambes croisées au niveau des chevilles et la colonne vertébrale droite comme un bâton, ses doigts aux ongles rose-coquillage entrelacés précautionneusement sur les cuisses, comme si elle s’entrainait à rencontrer la Reine Elizabeth (note à part : lorsque Gaga a rencontré la reine, après avoir chanté au Royal Variety Show en 2009, elle a fait la révérence alors qu’elle portait une robe longue aux manches bouffantes faite entièrement de latex rouge brillant). « Et je ne sais pas du tout d’où ça vient, excepté peut-être de Dieu. Personne ne sait. »

Ce qu’elle sait, c’est qu’à un moment, elle s’est sentie libre : d’abandonner son nom de naissance (Stefani Joanne Angelina Germanotta), de se transformer en un événement, de continuer à muer.

Le début de carrière de Lady Gaga était une étude sous forme d’invitation : Regardez à quel point je suis libre, regardez à quel point vous pourriez être libres. C’est ce qu’elle vendait à 21 ans, avec ses nœuds platines géants dans les cheveux, ses lunettes et ses épaulettes gigantesques. C’est cette prise de conscience qui l’a menée, après avoir grandi dans l’Upper West Side et étudié les menuets au piano dans une école catholique pour filles, à déménager en centre-ville en 2004, tout d’abord pour étudier les arts théâtraux à N.Y.U. (elle a abandonné durant sa deuxième année) puis pour chanter dans des bars crados du Lower East Side, pendant qu’elle envoyait ses démos aux labels. Elle a lu les livres d’Andy Warhol et a réalisé que ce que veulent la plupart des gens, lorsqu’ils rêvent de célébrité, ce n’est pas nécessairement la richesse ou le pouvoir mais l’absence de limites : l’habilité de changer. Tellement d’artistes commencent bruts et crus mais se calcifient avec le temps ; lorsque Lady Gaga a adopté son nouveau nom (quelque part en 2006, probablement d’après une chanson de Queen), elle a décidé de renverser la formule. Et si elle commençait avec le personnage, et que le personnage était l’incarnation physique du flux ? Et si elle ne portait jamais la même tenue deux fois, ou ne donnait jamais d’interviews sans être en costume, ou clamait être un modèle de créativité authentique ?

Le premier album de Gaga, « The Fame » (bientôt réédité avec des chansons additionnelles dans « The Fame Monster ») est sorti en août 2008, une saison d’optimisme et de remaniement politique, lorsque les jeunes gens étaient prêts à accepter les refrains pop carillonnants d’une farfadette chimérique leur disant qu’ils pouvaient continuellement se redéfinir. Ses premiers enregistrements n’étaient peut-être pas très profonds – « Poker Face », son second plus gros single après « Just Dance », est une ode aux surfaces miroitantes, à rester obstinément insondable – mais ils étaient accrocheurs (elle a changé la manière dont toute une génération entend la locution « ooh la la »), et leur légèreté agile était intentionnelle. La plupart de ses premières chansons étaient lancinantes et linéaires : gros synthés, gros hooks, les rythmes clinquant ensemble comme un poignet chargé de bracelets en argent. La musique était un outil pour propager son image rayonnante, continuellement surprenante à regarder.

Lorsque Gaga a émergé sur la scène pop, elle était un phénomène – un amalgame excentrique de dureté new-yorkaise, d’expérimentation d’école d’arts, de formatage d’un label, d’une formation classique et de hits radio de bonne foi. Elle s’est clairement inspirée des incarnations précédentes de célébrités majeures (le glamour amphibie de David Bowie, l’ambition blonde de Madonna, l’amour de Michael Jackson pour les paillettes et la précision), mais elle était encore plus focalisée que ces prédécesseurs sur le direct, sur les coups de théâtre. Elle a commencé à repousser les limites et a cessé de porter des pantalons ; elle est devenue un panneau d’affichage vivant de la mode avant-gardiste (les sabots à talons de Alexander McQueen, une veste couverte de Kermits la Grenouille en feutre, plusieurs robes faites de cheveux humains, la robe en viande), ce qui a fait paraître franchement insipides tous les artistes de l’époque ne se roulant pas sur scène dans d’une piscine de faux sang.

L’obsession initiale de Gaga pour la mascarade prédisait les doubles-vies que nous connaissons maintenant, nos existences simultanées de personnes vivantes et d’avatars désincarnés. Mais au lieu de voir ces identités comme segmentées – la véritable personne, la façade – elle a mis en avant le concept qu’il est possible, et finalement adaptable, d’essayer de se libérer des vieilles limites dans ce monde fracturé. Vous pouvez être à la fois un initié et un étranger, un humain et un alien. Tout cela est solidement ancré en Gaga. Si cela semble paradoxal, ça l’est ; mais le paradoxe est là où Gaga brille. Les doubles vérités post-modernes sont son milieu.

Elle a commencé à s’appeler monstre, pas uniquement pour embrasser la bizarrerie outrancière qui a été le terrain des icônes pop comme David Bowie ou Prince, mais aussi parce qu’elle était monstrueuse, une création pop qui a dévoré l’air du temps et l’a joyeusement régurgité. Elle a fait semblant de se pendre avec un nœud coulant sur scène, elle a rêvé un chapeau rempli de cafards vivants, elle a sucé un rosaire dans le clip de « Alejandro », elle a embauché une « artiste du vomi » pour cracher du lait vert citron sur sa tenue à South by Southwest, elle a livré un discours lors d’une remise de prix dans le rôle de Jo Calderone, son alter-ego masculin. Son projet entier était un ballet en Technicolor, une hallucination diaphane. Et cela lui a permis de vendre des disques (plus de 27 millions à travers le monde) et de gagner des récompenses (six Grammys).

« Je continue de me transformer en une nouvelle coquille, » me dit-elle. « Alors bien sûr, il y a un composant théâtral dans ce que je fais, ou un composant du show business. Mais le mot ‘jouer’ est difficile pour moi dans ce cas, car ‘jouer’ implique presque que je fais semblant. » Elle a insisté pour me dire que toutes ses transformations forment une ligne ininterrompue, que la performance reflète la réalité.

Durant la dernière décennie, Gaga a sans doute fait évoluer le mécanisme de la pop vers une bizarrerie énergique. Son influence est partout – elle a ouvert les portes pour que d’autres faiseuses de hits soient effrontément bizarres (Miley Cyrus dansant sur un boulet de démolition, Katy Perry avec son soutien-gorge fusil d’assaut rempli de crème chantilly, Sia vivant sous sa perruque, même l’affect à la Fritz Lang indie de St Vincent) – mais au final, le maximalisme précurseur de Gaga a commencé à devenir moins vital à la conversation culturelle. En 2011, le « 21 » de Adele a cimenté une nouvelle austérité dans la pop ; tout ce qu’elle a dû faire pour vendre 11 millions de disques a été de rester sur place en chantant plaintivement une rupture.

Alors Gaga a fait des embardées, encore, encore et encore. Elle a fait un disque de jazz avec Tony Bennett. Elle a fait un album heavy-metallique plus croustillant nommé « Artpop » qui n’a pas très bien marché auprès du public, du moins à l’échelle gaga-esque à laquelle elle était habituée (il s’est écoulé à moins d’un million d’exemplaires). Lorsqu’elle a eu 30 ans, elle a sorti un cinquième album plus minimaliste appelé « Joanne », du nom d’une tante décédée jeune des complications d’un lupus. Elle a fait la promotion de l’album en t-shirts déchirés et simple chapeau en feutre rose. Elle a fait la tournée des bars avant les salles de spectacles. Elle a aussi sorti le documentaire Netflix « Gaga : Five Foot Two », un aperçu-vérité de sa vie quotidienne alors qu’elle se préparait pour le Super Bowl 2017, produisait et faisait la promotion de « Joanne » et parlait librement de la souffrance invalidante causée par sa fibromyalgie (dont elle souffre en privé depuis des années). Le documentaire présente Gaga avec un manque frappant de vanité. Elle apparaît les cheveux sales et le visage nu. C’est Gaga La Vulnérable, Gaga l’Ame Sensible.

Le film se termine avec sa performance au Super Bowl, où elle a chanté tous les éléments de base de son catalogue – « Bad Romance », « Telephone » et même « Just Dance » – avec enthousiasme dans un body à sequins, se frayant un chemin à travers les rythmes disco de « Born This Way » en bottes à talons, entourée d’une armée de danseurs aux capes irisées. C’était un set cinglant, un entrainement cardio aux sons de ses plus grands succès et un manifeste vraiment impressionnant de sa dominance culturelle. Mais cela semblait aussi élégiaque, comme si cela appartenait à une ère différente, lorsque Gaga délivrait un discours électoral pour casser la loi « Don’t Ask, Don’t Tell » et que ses chansons devenaient des hymnes au combat pour le mariage gay à l’échelle nationale. Ces dernières années, la culture homosexuelle est devenue anti-institutionnelle, moins en faveur de la normalisation que de la résistance aux normes. D’une certaine manière, la célébrité galactique de Gaga, qui lui a autrefois donné une énorme plateforme pour sa défense de l’égalité, est devenue un fardeau lorsque la conversation est devenue plus intime et nuancée. La pop n’est pas totalement l’après-spectacle (la performance récente de Beyoncé à Coachella était un fabuleux spectacle pluridisciplinaire), mais elle évolue en un espace moins grandiloquent. Elle devient plus crue, plus petite. Et Gaga fait la même chose.

Elle n’a pas abandonné le pouvoir d’un spectacle audacieux (cet hiver, elle montera une résidence pyrotechnique à Las Vegas appelée « Enigma »), mais en faisant « A Star is Born », elle entame une conversation plus douce avec le public – sur le talent, l’ambition, sa propre trajectoire. Ally est la plus humaine de toutes les créations de Gaga, et nous l’offrir – ses peurs, sa loyauté, son cœur brisé après la tragédie – est une gageure différente à se présenter devant des millions de gens habillés en Muppet holographique. Elle fait, par essence, une autofiction exploratoire à grande échelle, même si elle joue encore un autre personnage.

Lady Gaga a acheté la propriété excentrique et boisée de Frank Zappa non pour y vivre lorsqu’elle est à Los Angeles – elle a déjà une villa de style méditerranéen sur un flanc de falaise isolé et escarpé de Malibu pour cela – mais comme refuge pour travailler, le nouveau centre nerveux de ses innombrables poursuites créatives. Elle veut peindre ici, composer (elle m’a confié qu’actuellement, elle compose fiévreusement des chansons sur le piano blanc à l’étage ; littéralement sur la surface du piano, avec un marqueur noir) et planifie son spectacle de Vegas ici avec son équipe de production, comme un conseil de guerre complotant un piège éblouissant. Dans son studio d’enregistrement, après sa sérénade de « Shallows », Gaga m’a joué cinq morceaux de la bande originale du film. Alors que la musique passait, elle a commencé à se détendre – c’est son territoire, sa contribution majeure au film. Elle mimait ses propres chansons depuis sa chaise pivotante, me regardant droit dans les yeux et m’attirant avec insistance dans sa joie.

Le studio est son sanctuaire, et l’une des raisons pour lesquelles elle voulait cette propriété. Elle travaille aussi à préserver le plus de curiosités possibles de cette maison : les portes de sous-marins vintage aux épais hublots, un dragon mural géant, le sol de la bibliothèque peint en bassin d’agrément. Elle m’a dit qu’elle adore le « chaos complexe » de la maison.

Gaga achète aux enchères – elle aime acquérir des objets iconiques, créés par des personnalités iconiques – et, en faisant la tour de la maison de Zappa, je me suis rendue compte que nous nous tenions dans une collection géante, un nid de 750 m² d’artéfacts pop culturels qu’elle a construit durant une décennie. En 2012, elle a acquis 55 objets venant des archives privées de Michael Jackson, incluant sa veste en cuir de « Bad » et un gant de cristal. La même année, elle a acheté une robe en soie coquille d’œuf Alexander McQueen, de la collection de l’experte britannique de la mode Daphne Guinness. En 2016, pour sa tournée des bars pour la promotion de « Joanne », Gaga est arrivée à un show dans la Cadillac rose Fleetwood 1955 d’Elvis (qu’elle avait juste emprunté).

Peut-être que cette impulsion de collectionneuse est ce qu’elle a absorbé de son étude de Warhol. Gaga est une artiste de l’accumulation, du remix et de la réinvention, qui attire ses héros dans son propre orbite gravitationnel. Elle a dit un jour à un intervieweur que « toute [sa] carrière était un hommage à David Bowie, » mais sa carrière est véritablement un hommage à toutes les différentes manières qu’une personne a d’être monstrueusement célèbre : elle veut porter tous les costumes, vivre tous les types de célébrités jusqu’à l’extrême.

Si elle devait être une star de cinéma, elle ne pouvait pas juste plonger dans un rôle, ou un film, dont personne n’avait entendu parler – elle voulait valser dans une lignée. Lorsqu’elle était plus jeune, m’a-t-elle confié, elle regardait « Le Magicien d’Oz » encore et encore, convaincue que Judy Garland était la plus grande artiste au monde. « Judy, elle est juste phénoménale,” me dit-elle. “Il y a une vulnérabilité dans ses yeux, la manière dont elle parle, elle provoque une grande attraction. J’ai toujours voulu être comme elle. C’est aussi simple que cela. » Et désormais elle se tient sur la même scène.

Plus tôt dans l’après-midi, elle m’a montré une pièce vide, conservée pour une photographie gigantesque de son visage, d’au moins 4,5 mètres, dans un cadre doré. « C’est un cadeau de Bradley, » me dit-elle. « C’est le dernier plan du film. Vous le connaissez ? »

C’était le cas. C’est le moment où Ally se tient sur la scène du Shrine Auditorium – où Garland a tourné sa scène finale – dans une robe du soir bleue métallique, chantant un hommage à son mari décédé. Elle commence timidement et vide de toute expression, expliquant au public qu’elle va chanter la dernière chanson que Jackson a écrit pour elle, et que peut-être qu’avec leur soutien, elle pourra la chanter en entier. Mais alors qu’elle chante, sa voix enfle et elle devient une avalanche. C’est une magnifique performance en très gros plan, une invocation symphonique de toutes les femmes qui ont joué ce rôle. Gaga canalise à la fois la manière dont Garland chantait (blessée, avec une tonalité claire, tenant à peine le coup) et la manière dont Streisand chantait (avec force, mouvements, hésitation). Mais Gaga ajoute quelque chose qui lui appartient : une confiance sensuelle, pragmatique, comme du carburant dans ses veines.

Lorsqu’elle termine, une grosse larme unique coule sur son visage. Magiquement, ce moment évite le désenchantement – la larme est vraiment méritée. Après l’avoir vu dans cette scène, je me suis sentie folle de joie par rapport à ce que Gaga a réussi à faire, pas uniquement pour son personnage, mais pour elle-même. On veut désespérément savoir de quoi sera fait son futur lorsque le rideau se baisse.

J’ai demandé à Gaga plus tard ce qu’on peut attendre de sa prochaine phase. Bien sûr, il y a Vegas et un nouvel album en route, et elle lit des tas de scripts. Mais elle ne voulait pas vraiment discuter à propos de tout ça. A la place, elle a souri énigmatiquement. « Oh, » a-t-elle soupiré. « Je me transforme encore. »


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